Lors d’une invitation chez Monet, Auguste Rodin invité passa le temps du dîner à regarder les quatre filles du peintre avec tant d’insistance que, l'une après l'autre, elles décidèrent de quitter la table. Auguste Rodin, sous couvert de son aura d’artiste de génie, ne cachait donc plus sa fascination pour les corps... Mais en regardant avec insistance ces quatre jeunes femmes, que cherchait-il ? La transe créatrice dans les replis de leur froufrou ? L’inspiration dans leurs mimiques intimidées ? L’excitation qu’il sait éprouver devant un corps qu’il déformera dans la matière ? Ou ne cachait-il plus sa vraie nature : celle d’un voyeur obsédé sexuel ?
Auguste Rodin et l'érotisme
Une pensée en passant
Il suffit de constater que Le Penseur pose son coude sur la jambe opposée pour comprendre que Rodin a le génie de la déformation. Il ne met pas les corps en position de se montrer, mais il impose à ses modèles des postures qui cherchent à les éloigner d’une manière d’être. Ce n’est pas tant la quête d’une vérité qui anime le travail de Rodin, mais le désir d’aller voir sous le voile des conventions si l’apparence est une déformation destinée à masquer la fragilité, ou si la fragilité peut se révéler dans l’abandon des diktats des postures socialement admises. Le regard de l’autre serait plus déformant que les mains de l’artiste qui finalement ne déforme rien, mais cherche à retrouver la position initiale, celle qui devient naturelle lorsque l’on n’a pas la sanction d’un regard dénué de sensibilité artistique. Utiliser Le Penseur pour démontrer l’étendue de la sensualité du maître est osé, mais c’est une évidence : la célèbre sculpture de Rodin est une ode à la puissance du corps qui exprime, mieux qu’une pensée, l’étendue du désarroi de l’humanité penchée sur son cas désespérée.
Des modèles à toison et du sexe à foison
L’aisance financière permet à un sculpteur de s’offrir les modèles qui vont l’inspirer, cette aisance artistique lui procure cette double satisfaction : celui de s’inspirer d’un corps en journée avant de le câliner le soir venu. Trouver des modèles était chose aisée, il suffisait d’aller se promener tous les lundis matins Place Pigalle, ou près de l’Académie Colarossi. Des jeunes femmes disponibles s’habillaient avec démence pour cacher la précarité de leur situation, et se faisaient payer de 3 à 4 francs de l’heure pour poser et accepter une invitation à dîner, positionnée avant ou juste après des galipettes sur un divan. Ce « code de bonne conduite », qui organisait les rapports entre un artiste et son modèle, était connu de Camille Claudel qui savait que Rodin, resté seul à Paris pendant qu’elle profitait de quelques jours de repos au château de l’Islette, serait confronté à la tentation...
Une sexualité débridée
Les hommes du XIXe siècle savaient très bien forniquer sans relâche, tout en s’habillant proprement, avant de refuser de reconnaître les enfants qui naissaient à la suite de coïts hasardeux, profitant des privilèges conférés aux égoïstes en ces temps peu favorables à l’épanouissement de la condition féminine. Même Camille Claudel s’est brisée l’enthousiasme, lorsqu’elle ne put, ou ne voulut, assumer deux grossesses (et peut-être plus). Auguste Rodin, son amant officiel, avait déjà refusé de reconnaître le fils de sa compagne Rose Beuret (un fils dont une partie du prénom utilise Auguste, mais dont le nom de famille est Beuret) ; il n’allait donc pas faire injure à celle qu’il épousera quelques mois avant de mourir, en acceptant un enfant de sa maîtresse.
La sexualité de Victor Hugo
Pourquoi subitement évoquer Victor Hugo ? Parce que Rodin le fréquenta un temps au moment de la conception d’une œuvre à la gloire de notre monument national. Au moment de cette rencontre, Victor Hugo est un vieux monsieur et Rodin a une quarantaine d’années. Le poète et auteur des Misérables méprise Rodin, refuse de poser trop longtemps, contrarie le travail préparatif du sculpteur, ce qui incite ce dernier à vivre presque quotidiennement chez Hugo en espérant capter, par le dessin, des postures et des expressions dont il pourra se servir au moment de modeler sa sculpture. Si Victor Hugo est vieux, il n’en reste pas moins très actif sexuellement. Les carnets retrouvés après sa mort, sur lesquels Hugo notait de manière codifiée ses coïts quotidiens, attestent d’une frénésie sexuelle assez étonnante. Cette énergie n’exprime pas une sensualité dévorante, mais un appétit de chair qui a besoin de se nourrir plusieurs fois par jour. D’ailleurs, où est la sensualité lorsque l’on trousse à la va-vite sa servante par derrière et en tenue de ville ? Si la poésie et les écrits de Victor Hugo sont souvent empreints d’émotion, de fragilité et de sensualité, il n’en est rien de sa sexualité. On retrouve cette dissociation chez Rodin, qui peut s’émouvoir devant les corps de ses modèles, les organiser sensuellement autour de son projet artistique, avant de les prendre à la hussarde, comme l’on ferait pour se délester d’une charge trop lourde à porter.
Les dessins érotiques d’Auguste Rodin
De 1890 à sa mort (1917) Auguste Rodin va passer plus de temps à regarder, tout en griffonnant, plutôt qu’à modeler la matière. Parler de dessin ? Pourquoi pas... surtout si ces dessins sont réalisés par un artiste majeur, mais les nombreuses esquisses de Rodin semblent avoir été réalisées sur l’instant, sans l’idée de revenir sur les traits pour en corriger la précision ou mieux représenter la réalité d’une morphologie en mouvement. Les esquisses érotiques de Rodin représentent des corps de femmes, parfois seuls ou en couple, qui se dévoilent autour du centre de gravité qu’est leur sexe. On savait le sculpteur avide de poursuivre les séances de pose en proposant à ses modèles un rapport sexuel libérateur ou distrayant, cette habitude, connue de tous, et donc de Camille Claudel, devint rapidement la cause principale de leur dispute, puis un des motifs de leur rupture. On découvre, grâce à ces dessins érotiques, que Rodin était tout simplement un obsédé sexuel. Ou plus précisément : un obsessionnel du sexe de la femme. Certaines esquisses érotiques font penser au privilège de l’enfant gâté à qui l’on a donné la clé d’une boutique de bonbons. Les bonbons ne lui suffisent pas, il faut qu’il les dégustent avec complexité. Dans le cas de Rodin, son aura d’artiste incontournable lui donne accès à des modèles disponibles et prêts à toutes les audaces pour satisfaire le maître : ces femmes ne doivent pas seulement écarter les jambes, mais se contorsionner pour faire du dévoilement de leur intimité une audace indécente. Auguste Rodin ne cherche plus à se rapprocher des postures originelles, avant que celle-ci ne soient influencées par la règle sociale ou bourgeoise, mais il reluque à satiété ce que les femmes ont de plus intime à cacher. Rodin, de malaxeur, est devenu ce voyeur qui ose aller plus loin qu’une certaine convenance professionnelle qui l’obligeait, au temps de sa jeunesse, à un peu plus de pudeur.
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