Le Musée Bourdelle accueille une exposition qui met en scène des œuvres d'Auguste Rodin et d'Antoine Bourdelle du 2 octobre 2024, jusqu'au 2 février 2025. L'exposition Corps à corps se propose de mieux appréhender les différentes étapes de l’amitié vécue entre les deux hommes, à travers un parcours initiatique et instructif.
Bourdelle, qui fut d’abord un praticien de Rodin, avant de devenir un disciple, puis un confrère, doit continuer de dorloter paisiblement dans sa tombe, car sa dernière volonté fut respectée... En effet, le musée Bourdelle a bien été crée sur les lieux où le sculpteur Antoine Bourdelle a vécu et travaillé de 1885 jusqu'à sa mort. La création du musée fut possible grâce au mécénat de Gabriel Cognac et à la persévérance de la deuxième femme de Bourdelle et de leur fille, ces dernières respectant donc la volonté de ce génie de la sculpture.
Buste polémique d’Antoine Bourdelle réalisé en 1909 représentant Rodin et signée « Au maître Rodin ». On reprocha à Bourdelle son aspect totémique et sacré, Bourdelle ayant osé emprunter les cornes du Moïse de Michel-Ange, ainsi que cette barbe végétale ou aquatique, selon les points de vue.
Bourdelle, le praticien de Rodin
Antoine Bourdelle (né en 1886 et mort en 1929) travailla pour Auguste Rodin en qualité de praticien tailleur de marbre. Ce détail est à souligner : Auguste Rodin ne taillait pas directement la pierre, il modelait des plâtres ou de la glaise et donnait ensuite à des praticiens le soin de retrouver dans la pierre la forme qu’il avait créée.
Les deux hommes s’échangèrent 320 lettres entre 1893 et 1912 pour preuve de leur respect mutuel et de leur amitié. Rodin n’a jamais autant écrit à un praticien, alors que sa pratique épistolaire est rarement mise en exergue, en raison d’une connaissance de l'orthographe approximative et de l'usage qu’il fait de formules parfois superficielles lorsqu’il n’est pas à l’aise avec son interlocuteur. Si Bourdelle fut, dès l’origine de leur correspondance, plutôt prolixe, il faudra attendre 1898 pour lire une réponse de Rodin, à une période de sa vie où il est confronté à des difficultés avec son Balzac et en proie à une crise sentimentale avec Camille Claudel. Les premières lettres sont assez parlantes de leur relation artistique : à Bourdelle la fougue, l’ambition et le respect à l’égard de son maître (Auguste Rodin a 26 ans de plus que Bourdelle) ; à Rodin la mesure et l’assise que donne la gloire chèrement acquise, quand elle est indiscutable.
Les trajectoires de ces deux génies de la sculpture méritaient d’être mises à l’honneur à l’occasion d'une grande exposition qui profitera de cet événement pour présenter :
- 96 sculptures de Bourdelle et Rodin
- 38 dessins de Bourdelle et Rodin
- 3 peintures de Bourdelle
- 26 photographies des œuvres de Bourdelle et Rodin
La première partie de l’exposition s’interrogera sur le rôle du praticien dans le travail de Rodin qui était les yeux et l’âme de ses sculptures, mais pas celui qui représentait dans la pierre sa vision créatrice. Si les deux hommes étaient fascinés par le marbre, seul Bourdelle savait le tailler, et mieux, le tailler pour rendre à Rodin ce qu’il avait modelé dans le plâtre.
L’autre attrait de cette exposition permettra de mieux comprendre comment s’effectuait le travail en atelier. Rodin cumulant des corps morcelés qu’il s’amusait à assembler au gré de ses intuitions. La géométrie, la dissymétrie et la déformation faisaient partie du protocole de création de Rodin qui utilisait son génie non pas pour représenter la réalité, mais pour déformer la vérité d’une émotion. Pour mieux comprendre cette méthode de travail, voici un extrait du roman que Frédéric Viguier a consacré au destin tragique de Camille Claudel, et qui illustre ce procédé des « corps en morceaux » :
Extrait du roman de Frédéric Viguier sur Camille Claudel
La jeune femme, qui se prénomme Denise, n’est pas une artiste qui expose ses œuvres dans la galerie Blot, ni une visiteuse occasionnelle. Elle n’est pas là par hasard, et si elle a participé à l’installation des sculptures d’Auguste Rodin, c’est parce qu’elle a posé pour lui.
— On peut donc vous retrouver dans l’une de ces œuvres ?
— Malheureusement, pas ce soir. Ce que j’ai montré de moi se retrouve dans plusieurs de ses sculptures, mais je suis disséminée dans Paris. Mes hanches au musée, mes seins dans un parc, ma nuque dans une autre galerie, et mes pieds dans un couloir d’un ministère…
— Comme c’est étonnant…
— C’est une pratique courante dans l’atelier de monsieur Rodin. Plusieurs praticiens façonnent ou sculptent différentes parties d’un corps, qui seront ensuite assemblées par le maître, pour représenter l’ensemble parfait qu’il signera de son nom.
— Plus je vous regarde et plus je trouve dommage de vous faire morceler. L’ensemble que j’ai devant moi est cohérent, et très agréable à contempler… Pourquoi Rodin n’a-t-il pas représenté votre corps dans son intégralité ?
— Peut-être parce que je ne l’ai séduit qu’en partie…
Bourdelle et Rodin : 2 monuments
L’exposition Corps à corps se posera la question de la place de la sculpture dans l’espace. Tout le génie sera mis en valeur dans cette quête d'un dysmorphisme créateur qui incite à Rodin à décupler les proportions pour les rendre non plus grotesque, mais émouvante car emprunte de notre propre monstruosité. L’exposition proposera la mise en perspective des dimensions en permettant la confrontation de Porte de l’Enfer et du Monument à Balzac de Rodin avec la façade du Théâtre des Champs-Élysées et du monument de La France de Bourdelle. L’exubérance de Rodin sans toute sa splendeur et la maîtrise émotionnelle de Bourdelle dans toute son humilité auraient-elle permis l’émergence d’une œuvre commune ? Sûrement pas. La sculpture comme la gastronomie mélange rarement avec bonheur les grands écarts de saveurs.
L’exposition mettra en scène des hommes qui marchent à travers celui de Rodin, qui côtoiera l’immobilité de L’Autoportrait sans bras de Bourdelle et l’Homme traversant une place d’Alberto Giacometti (1901-1966). Quelle idée de tenter de faire marcher des statues, pourrait se demander le visiteur égaré, qui devra comprendre que ce n’est pas dans le déplacement des Hommes, qu’il faut chercher l'origine de la détresse humaine, mais dans leur incapacité à rester immobile en face du vide.
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